Le sentiment de honte trouve souvent son origine dans la relation difficile que l’enfant a entretenu avec ses parents et ses professeurs. Le traumatisme est parfois si profond que certains adultes en restent douloureusement marqués. Leur intégration dans le monde de l’entreprise s’en trouve compliquée.
En passant au tableau, l’élève s’est senti humilié par les sarcasmes de l’instituteur et les ricanements de la classe. Devenu adulte, il panique devant son N+1 qui lui demande un compte-rendu de ses activités. Il perd pied et ne peut répondre à des questions dont il connaît parfaitement la réponse.
Le cas de José
Il y a quelques années, j’ai accompagné José, un homme qui gagnait sa vie comme consultant indépendant. Au moment de notre rencontre, il y avait plus de vingt ans qu’il avait renoncé au statut de salarié. Malgré des compétences évidentes, il s’était en effet montré incapable de gagner la confiance de ses supérieurs hiérarchiques. En conséquence de quoi, le début de sa carrière avait été marquée par deux licenciements douloureux.
José me contacte après avoir reçu une proposition d’embauche. Elle émane d’un grand groupe auprès duquel il intervient régulièrement avec succès. Avant de l’accepter, il sait toutefois qu’il doit changer son rapport avec l’autorité. S’il ne le fait pas, cette nouvelle expérience risque de se finir aussi mal que les deux précédentes.
José m’explique que cette perspective d’embauche a déjà considérablement altéré sa relation avec son client. Jusqu’ici il s’était toujours senti très à l’aise avec lui. Mais l’idée d’être bientôt son subordonné hiérarchique l’affole. En réunion, il s’embrouille. Il semble qu’il ait perdu son talent d’exposer ses idées avec calme et clarté. Il éprouve le sentiment d’être un imposteur. Cela ne lui était jamais arrivé dans ce contexte. José sent qu’il perd en crédibilité auprès de son client. Si cela continue, il ne sera pas embauché. On ne fera peut-être même plus appel à lui en tant que consultant.
L’accompagnement met en évidence l’origine de cette terreur de l’autorité. Enfant, José s’est senti régulièrement humilié par les remarques méprisantes de son père. Ces jugements terribles lui ont fait éprouver une honte profonde et durable.
Mécontente des autres, mécontente d’elle-même
Il m’est également arrivé de travailler avec des personnes chez qui le sentiment de honte se manifestait sous la forme d’une ambivalence extrême vis à vis du pouvoir. Je me souviens notamment d’une femme qui ne supportait pas que l’une de ses collègues puisse se voir promue à un poste de responsabilité. Le seul fait d’apprendre que l’une d’elles avait sollicité une promotion la rendait agressive. Elle aurait voulu la « remettre à sa place ». Elle-même se sentait beaucoup trop honteuse pour briguer un tel poste. S’exposer ainsi au regard des autres, la remplissait d’épouvante. Doutant de son niveau de compétence, elle redoutait que l’on juge sa démarche prétentieuse et ridicule.
Ces deux exemples mettent clairement en évidence que la honte peut constituer un frein insurmontable à la réussite professionnelle. Elle empêchera souvent ceux qui en souffrent de déployer pleinement leur potentiel et de progresser dans l’échelle hiérarchique. Elle peut cependant aussi avoir l’effet inverse. La terreur de se sentir inférieur aux autres, peut inspirer à certains une ambition démesurée. Obsédés par leur carrière, ils transforment leur vie en une quête inlassable de pouvoir et de reconnaissance sociale. Ils le font généralement au détriment de leur bonheur.
Jean-Christophe Vidal
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